"Il y a trois ans, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique était assassiné pour avoir enseigné la liberté d’expression à ses élèves et illustré son cours à l’aide de caricatures. Il a été atrocement assassiné parce qu’il faisait son métier et qu’il le faisait bien, en "ayant à cœur – comme l’a dit le Président de la République - de montrer la grandeur de la pensée, de faire comprendre la valeur du respect. Il donnait à voir ce qu’est la civilisation".
L’assassinat de Samuel Paty, d'une barbarie indicible, nous avait plongé dans l'effroi. Le fanatisme islamiste avait poussé au meurtre un jeune homme gagné par les discours de haine et d'intolérance.
Et voilà que l’horreur frappe de nouveau l’École. Vendredi dernier, à Arras, un professeur a été assassiné, et plusieurs autres membres de la communauté éducative, enseignants ou agents de la région, ont été sévèrement blessés, victimes encore du terrorisme islamiste et de la folie d’un jeune homme radicalisé. Le choc est profond. La tristesse immense. Le cœur de tout un pays s’est arrêté de battre au moment où nous apprenions la mort sauvage et barbare de Dominique Bernard, professeur de lettres à la cité scolaire Carnot-Gambetta qui a succombé en essayant de protéger ses élèves.
À travers les victimes de vendredi, comme voici trois ans avec Samuel Paty, c’est l’École de la République qui est attaquée.
Parce qu’elle a pour mission de transmettre aux élèves les clés de compréhension du monde pour qu’ils puissent se forger leurs propres opinons et développer leur esprit critique ; et parce que c’est précisément ce que le fanatisme déteste, et ce contre quoi il lutte l’ignorance est son alliée puisque comme le rappelait Victor Hugo, "C'est à la faveur de l'ignorance que certaines doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau confus des multitudes (...)".
Si puissant qu'il soit, l'effroi ne doit surtout pas nous figer. Ce serait trahir ceux-là même qui ont payé de leur vie le fait d’être professeur, c’est-à-dire d’aimer transmettre leurs connaissances, de vouloir faire grandir et protéger leurs élèves, de les construire en tant que citoyens, ce cheminement long qu’il faut faire parcourir aux jeunes esprits avec gravité, constance et respect des diversités. Les constituer comme citoyen ne voulant pas dire réduire à l'identique, ni violer les consciences, mais agréger à une communauté qui transcende les appartenances particulières.
À tous les discours de haine, à toutes les formes d'intolérance doivent être sans relâche opposées les valeurs de la République et de la démocratie, celles-là même dans lesquelles Samuel Paty et Dominique Bernard avaient foi. Au nombre de celles-ci, la laïcité :
- en ce qu’elle est l’expression de notre liberté car elle permet à chacun de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune,
- elle incarne aussi l’égalité entre toutes les religions, la République les reconnait toutes et n’en privilégie aucune,
- elle est enfin « fraternité » car toutes les femmes et les hommes, quelles que soient leurs opinions, méritent le même respect.
Hommes de courage et de convictions, Samuel Paty et Dominique Bernard incarnaient la tolérance. C’est ainsi que je voudrais finir sur les mots prononcés en 2015 par Robert Badinter, c’était au lendemain des attentats du 13 novembre au Bataclan et dans les rues de Paris: "Enfin, pensons aussi en cette heure d’épreuve au piège politique que nous tendent les terroristes, (…) ceux-là trahissent par fanatisme l’idéal religieux dont ils se réclament. Ils espèrent aussi que la colère et l’indignation qui emportent la nation trouvera chez certains son expression dans un rejet et une hostilité à l’égard de tous les musulmans de France. Ainsi se creuserait le fossé qu’ils rêvent d’ouvrir entre les musulmans et les autres citoyens. Allumer la haine entre les Français, susciter par le crime la violence intercommunautaire, voilà leur dessein, (…). Refusons ce qui serait leur victoire. Et gardons-nous des amalgames injustes et des passions fratricides".
La France est une et indivisible, elle est forte de tous ses citoyens, quelles que soient leurs opinions et leurs croyances.
Respectons-nous dans celles-ci, restons unis, défendons la liberté, c’est ce que Samuel Paty et Dominique Bernard enseignaient avec force à leurs élèves."
Mise à jour : octobre 2023